Dans moins d’une semaine je vais m’envoler pour le Maroc et un immense vertige m’étreint, plus grand encore que le vertige que j’ai pu éprouver à Montréal en m’asseyant au volant de ma Chevrolet alors que j’entamai le long voyage qui devait m’amener en quatre mois dans les faubourgs de Montevideo, à vingt mille kilomètres de là.
Cette délicieuse sensation de glisser dans l’inconnu, d’être à un tournant de soi-même, à une croisée des chemins et que demain sera autre, comme en un point où la vie se met à s’emballer et prend de vitesse les rêves les plus fous. Il en résulte une incroyable excitation et la plus totale confusion, comme l’éblouissement consécutif au basculement des corps dans un plongeon de haut vol. Cet instant magique de libération totale pendant lequel le corps et l’esprit sont tout à leur envol et où la totalité de l’énergie de l’être est focalisée dans un seul but, éviter le retournement et se tendre au bon moment pour pénétrer l’eau comme une flèche, en une simple question de survie.
Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais me voilà maintenant entre deux points incertains où vie et rêves se nouent à n’en plus faire qu’un. Demain, c’est ma seule certitude, sera autre et les années passées dans une errance un peu folle et sans but apparent semblent vouloir, enfin, s’y cristalliser. Toute vie est un voyage pour peu que l’on ait la folie, le courage ou la lucidité de s’y confronter.
Zeta () l’homme libre, dernière lettre de l’alphabet Amazigh des berbères d’Afrique du nord est à la fois un point final, un aboutissement et une porte vers l’avenir. Peut-être est-ce de la présomption ou de l’orgueil, mais quand je me suis installé dans mon nouveau métier, il y a sept ans de ça déjà, j’en ai fait mon emblème, comme une aspiration. Est-ce un hasard si la porte qui semble s’ouvrir si grande aujourd’hui est enracinée dans ces terres lumineuses de l’Atlas, au coeur de ces pays sauvages qui ont su résister en leur temps à tous les envahisseurs et dont les reliefs aujourd’hui décharnés portent encore les stigmates du titanesque affrontement qui, durant plus de trois cents ans, les a opposés aux plus formidables armées de cette époque, les légions romaines qui étaient parvenus à soumettre sous leur talon d’airain l’ensemble du monde méditerranéen et qui ont trouvé là, dans les vallées étroites des montagnes du Maroc, les limites infranchissables de leur puissance au point qu’aujourd’hui encore le doux nom de barbares leur soit resté collé à la peau, et que d’un terme d’infamie ces tribus aient fait leur fierté, l’oriflamme de leur liberté.
Il fut un temps où, ici aussi, on disait aussi que plutôt que vivre à genoux, il valait mieux mourir debout. Aujourd’hui l’ensemble du monde occidental semble n’aspirer qu’à s’asseoir dans le confort douillet d’un cercueil capitonné pourvu que le frigo soit plein, la voiture neuve et la télévision du dernier modèle. Fondamentalement, ce monde là me désole. Je n’aspire qu’au vent, à l’ailleurs et l’amour.
De l’amour, je crois à la fulgurance, au partage fusionnel des corps dans le désir et l’orgasme, mais surtout et avant tout en une résonance intime multipliant les possibles, comme un horizon qui s’ouvre comme l’on s’en approche, à bride rabattue, bousculant les obstacles, jamais comme une prison intime qui ferait de l’autre sa chose mutuelle. Libre, je ne peux aimer que mon égale, en toute liberté. Je crois au vent, renversant les montagnes, déchirant l’océan. Face au vent je me dresse et j’attends. J’attends le doux palpitement des chairs, nues et offertes, en une explosion de vie sans cesse réinventée.