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Rêve

Je me souviens peu des rêves que je fais. La prégnance de celui que je fis ce matin au réveil laisse dans ma bouche une impression étrange, comme une langue pâteuse d’avoir trop bu la veille. Est-ce d’avoir eu hier au téléphone ma cousine Anne, familière aux étés de nos enfances et de nos adolescences, dont le souvenir est indissociable de ces jours lumineux passés à arpenter les montagnes entourant Larrau, petit havre d’humanité accroché aux flancs des Pyrénées, bout du monde endormi surmonté d’Espagne ?

Cette voix, une vie la séparait de notre dernière rencontre. C’était à l’orée de nos vies d’adultes, il y a près de quarante ans de cela. Les chemins de nos vies ne devaient plus jamais se croiser les étés, d’autres lieux, d’autres temps étaient venus et beaucoup des témoins bienveillants de nos jeux ne sont plus là, nous laissant peu à peu seuls gardiens de l’album, chaque année un peu plus jauni, des souvenirs de notre enfance, dont seul nos yeux gardent, intacte, toute là lumière.

Une vie, qu’est-ce donc d’autre que le filet de sable qui file entre nos doigts, d’une poignée saisie machinalement sur la dune, et qui vient se mêler, l’espace d’un instant, d’un rêve ou d’une nuit, aux filets échappés de ces mains voisines que le hasard, ou bien la providence, a mis à nos côtés.

Le rêve que je fis donc cette nuit avait cette saveur des instants révolus que nous portons en nous, trésors cachés qui nous appartiennent en propre et que nous serions bien incapables de partager, dans leur substance faite d’émotions, de tendresse et, bien sûr, d’une pointe de nostalgie.

Ce qu’il s’y passait n’avait probablement aucun sens, seulement cette impression d’une vie qui s’écoule, et qui s’est écoulée.

Il y était question d’une visite hors du temps, dans cette maison amie sur la petite route départementale qui va de Bioule à Montricoux. Thierry s’y affairait, seul, Marie et les enfants étaient partis. La maison était là, comme au bord d’un abîme tout prêt à l’engloutir. Mon père m’accompagnait, il était jeune, dans la force de l’âge et pourtant nous étions aujourd’hui. Après un repas partagé, nous nous séparions. Thierry partait au volant de sa 305 maintes fois réparée, mon père rentrait et j’allais retrouver les falaises dominant les gorges de l’Aveyron lorsque je me suis réveillé.

Plus de vingt ans d’une vie écoulée dans un poing, vous dis-je, et ce sable qui n’arrête pas de couler…

Villar d’Arène le 25 juillet 2023

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