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A propos de la tentative de suicide d’un collègue au Collège

Le 5 décembre, un collègue du collège La Boétie s’ouvrait les veines dans sa salle de cours pendant la récréation…

Décidément, le décès de Johnny ne pouvait pas mieux tomber pour le Ministère de l’Education Nationale. C’est avec un réel soulagement que les hautes sphères en charge de la gestion et de l’organisation de l’enseignement ont du voir tomber la nouvelle sur leur téléscripteurs et autres dispositifs plus ou moins modernes de transmission de l’information : l’idole des jeunes depuis près de trois générations venait de passer l’arme à gauche. Durant une semaine au moins, la France allait arrêter de respirer, les médias seraient mobilisés et des torrents de larmes allaient se déverser sans discontinuer dans le moindre caniveau.

Le suicide ou la tentative de suicide d’un enseignant sur son lieu de travail n’est jamais une information anodine. Quand cela arrive dans une banlieue surpeuplée, cloisonnée, qui concentre l’ensemble des tensions sociales susceptibles d’être générées dans notre société cela est funeste, mais peut être analysé avec une grille de lecture relativement simpliste qui dédouane, dans son ensemble, l’institution scolaire fatalement impuissante à résorber les fractures sociales qui, insidieusement, peuvent se refléter dans le psychisme fragile de certains de ses acteurs. Cela peut donc se comprendre sans forcément remettre en question le fonctionnement interne de l’institution et ses dérives.

Mais comment expliquer que dans un important collège de campagne, au cœur d’une région idyllique qui figure parmi les destinations touristiques phares de l’hexagone, un enseignant apprécié de ses collègues et de ses élèves, père d’une famille unie et militant syndical, en vienne à s’ouvrir les veines sur son lieu de travail en mettant en cause nommément sa chef d’établissement et en l’accusant d’avoir mis en place un système ayant été capable de le pousser à la dernière extrémité ?

Brimades, vexations, humiliations auraient été depuis la nomination de la principale incriminée il y a six ans le lot quotidien d’une partie des personnels enseignants et agent du collège La Boétie de Sarlat-La Canéda. Collège dont le nom honore l’auteur il y a plus de trois siècles d’un essai sur « La servitude volontaire » faisant encore référence et se révèlerait pour le coup d’une ironie mordante.

Les faits tout d’abord. En pénétrant ce mardi 5 décembre à 11 heures dans la salle de technologie où ils devaient avoir cours, des élèves de quatrième trouvèrent leur professeur inconscient les veines ouvertes et allongé sur le sol. Intrigués par le message laissé une heure auparavant par leur collègue sur la messagerie interne du collège, lequel faisait état de gibier traqué se jetant du haut d’une falaise et écho à un fait divers local récent, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre parmi les personnels du collège qui, réunis en assemblée générale, décidèrent immédiatement et unanimement d’exercer leur droit de retrait et de cesser le travail.

Dès le lendemain, la principale et sa compagne, CPE dans l’établissement, déposaient un arrêt maladie et quittaient précipitamment le collège bloqué par les personnels. Devant les personnels réunis en assemblée plénière l’Inspectrice d’Académie venue les rencontrer en urgence les assurait de la solidarité de l’institution, les informait de la nomination comme principale par intérim de la principale adjointe et de l’ouverture d’une enquête administrative. Une réunion du CHSCT était convoquée le lendemain à Périgueux par l’inspectrice d’académie pendant que l’ensemble des personnels organisaient la remise en fonctionnement du collège qui pouvait reprendre sa mission vendredi 8 décembre après trois jours d’arrêt des cours.

Lundi le rectorat confirmait l’ouverture de l’enquête administrative dès le retour des congés de fin d’année et la Directrice des Relations et Ressources Humaines du rectorat de Bordeaux s’est rendue sur place mardi, soit une semaine après l’acte désespéré de l’enseignant, pour expliquer au personnel réuni en assemblée plénière le fonctionnement de l’enquête et la volonté de l’institution de faire toute la lumière sur l’affaire.

Le personnel du collège, enseignants, personnels administratifs et agents restent vigilants, d’autant plus qu’aucun des signaux d’alertes tirés par certains d’entre eux au cours des six ans de « règne » de la principale n’ont été pris en compte, pas plus que le passif de celle-ci qui avait été mutée de son précèdent poste à Marmande vers Sarlat à la suite d’un mouvement des personnels qui dénonçaient ses méthodes inacceptables de « management ». Durant des années, ses agissements semblent avoir été couverts par la direction rectorale qui peut donner l’impression d’avoir fait le dos rond, croisant les doigts pour que cela n’explose pas avant qu’elle ne prenne la retraite à laquelle elle aurait eu droit en 2018.

La précipitation avec laquelle l’Education Nationale souhaite régler le problème soulevé à Sarlat s’explique sûrement par la crainte que celui-ci révèle l’extrême dangerosité pour les personnels, mais aussi pour l’ensemble de la communauté éducative en commençant par les élèves, d’une politique qui accentue l’autonomie des établissements scolaires et le pouvoir des chefs d’établissement sur les personnels subordonnés, y compris des enseignants qui n’avaient jusque-là et en théorie de comptes à rendre sur leurs enseignements que devant leurs Inspecteurs Pédagogiques.

Espérons que l’enquête diligentée par l’administration fasse toute la lumière sur les dysfonctionnements et les complicités (actives ou passives) et y compris dans les rouages supérieurs de l’institution, lesquels ont permis que la situation dégénère au point d’arriver à ce qu’un enseignant impliqué et respecté s’ouvre les veines dans une salle de classe. Les personnels du Collège La Boétie y seront d’autant plus vigilants que les enjeux dépassent largement le cadre de la vallée verdoyante de la Dordogne. Depuis la mise en place d’une politique généralisée de privatisation et de casse des services publics, les pressions sur les personnels s’accentuent au nom de critères de rentabilité à atteindre. Les missions dues au public se dégradent parallèlement aux conditions de travail pour préparer les meilleurs profits possible aux futurs investisseurs, dans la logique de la contre-révolution libérale qui s’étend peu à peu depuis 1986 à tous les aspects de notre société.

À l’opposé d’un management directif et autoritariste, les structures éducatives n’auraient-elles rien à gagner à la responsabilisation des personnels, à leur autonomisation face à leurs directions et au renforcement du caractère démocratique des organes internes de décision à tous les niveaux de l’institution, en commençant par les établissements ? Faire réellement de la communauté éducative une communauté d’acteurs conscients et responsable dans sa mission fondamentale.

À cela, et malgré leur bonne volonté, les enseignants du Collège La Boétie de Sarlat ne parviendront pas tous seuls.

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