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Conglomérat

La place du Cap’. Soleil d’hiver. De fin d’hiver. Une lumière claire. La brique qui pète sur un ciel bleu sans tache. A gauche des gars de la télé s’activent tranquille sur une estrade et une femme flic qui passe et qui repasse devant un marché clairsemé.

Prendre le temps de prendre le temps.

Flash-back.

Le souvenir d’un petit matin piquant dans un village blanc dominant la plaine d’Aragon. Un autre café. Un autre rythme. Quelques pas lourds, la tête un peu ensuquée après une nuit aux étoiles. On pose les sacs. La paroi baigne dans l’ombre. Partout ailleurs la lumière et la chaleur qui commencent à inonder le paysage. Ici la fraîcheur mord encore. Faire vite, gagner de la hauteur avant que la chaleur et la soif ne nous écrasent et ralentissent notre progression. La ligne est évidente. Une fissure sur cinq longueurs. Puis une succession de ventres et de goulottes de pierres rouges. Ou parfois grises là-haut où la pluie parvient encore à les laver.

L’évidence de la progression dans ce conglomérat a quelque chose de rassurant. L’escalade est logique, aérienne et fugace. Les mètres défilent, les longueurs se succèdent. Le soleil nous rattrape alors que je prends pied en haut de la fissure. La suite rassurante des points d’assurage modernes fait place au vieil équipement d’origine. Et la ligne de progression s’éloigne parfois de l’ancienne voie.

Sous les pieds la corde file, dix mètres, et le relais n’est plus visible. Concentration. Précision des gestes nécessaires et lents. Un peu de peur peut-être.
Plus haut, à gauche un vautour nous observe et s’envole dans une bruissement d’air qui souligne l’espace.

Sommet. Il fait chaud. Les bruits de la vie du village et de ses alentours me parviennent à nouveau. Ou plutôt j’y reprends garde. Clarines des brebis, parfois une voiture. Tout ça lointain, presque irréel.

Fin de la parenthèse.

Cette sensation de survoler le monde. Comme un planeur fou lancé à la dérive parfois. Et puis retour au quotidien. Et au banal peut-être. Rêver encore une fois à la main qui se pose sur le rocher et au corps qui s’allège.

Peut-être la quintessence de l’escalade est-elle dans cet allégement du corps par la main. Là réside sûrement la magie. Et l’extase de cette inutile progression. Loin des foules, des bruits et des modes. Revenir à la pureté d’un geste beau et gratuit, comme faire l’amour à une femme que l’on aime.

Que l‘on aime pour l’aimer sans trop savoir pourquoi.

Ce besoin de rencontre, d’échange et de léger.

Place du Capitole (Toulouse) – 6 mars 1998 – 10h

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