Très chère Mémé,
Lundi matin j’ai fait un rêve.
Nous étions tous assis autour de la grande table de la cuisine de la maison de Larrau, il y avait plein de monde.
Je me suis levé pour prendre quelque chose dans le placard aux vitres opaques et granuleuses, tu sais celui dans lequel tu rangeais les petits-beurre et les stoptout, ces bonbons durs à l’anis et à la réglisse que tu aimais tant.
Alors que je vous tournais le dos, tu as dit quelque chose. Je ne me souviens plus ce que c’était, mais nous sommes partis d’un irrépressible fou rire, tellement fort que j’ai dû m’appuyer au meuble pour ne pas tomber.
Dans mon sommeil j’entendais ton rire, il sonnait clair et limpide au milieu d’un silence qui me parut tout d’un coup étrange. Je me suis retourné et t’ai vue, tu étais si réelle quand tous les autres autour ne paraissaient que des ombres.
Sur cette vision-là je me suis réveillé en sursaut et ai alors pris conscience, je crois, que tu n’étais plus là, que tu nous avais quittés, que avions perdu notre mémé.
Et ce que j’ai l’impression que nous perdons avec toi est immense.
C’est comme un fil ténu qui se serait brisé, que tu tenais entre tes doigts et nous reliait encore, chaque jour plus fragile, aux matins lumineux de notre enfance.
Il me suffit de fermer un instant les yeux et je revois comme dans un songe le mur de cette chambre en mansarde en haut de l’escalier et que venait balayer comme un souffle régulier ou le battement d’un coeur le long pinceau luminescent du phare.
Je ne te ferai pas la longue énumération des souvenirs attachés à ta présence familière, mais il y eut par-dessus tout ces étés merveilleux durant lesquels tu nous accueillais à Larrau et qui nous ont permis de vivre nos premiers moments de liberté vraie et sauvage.
Ces journées et soirées que, bandes d’enfants puis d’ados livrés à nous-mêmes, nous passions à courir la montagne et les rues de ce village qui palpite en moi comme un vaisseau hors du temps, sur son flanc de montagne adossé à l’Espagne.
Ces étés-là sur lesquels tu veillais furent à l’image de l’amour et de la générosité dont tu as su nous entourer durant toutes ces années, cet amour que tu nous laisses en héritage en ce triste jour où tu as décidé de nous quitter.
De toi, je garderai comme dernière l’image de ce regard rieur couleur de ciel dans lequel pétillait, malgré le poids des ans qui courbait ta silhouette, toute la fraicheur insolente de ta jeunesse.
Je garderai aussi le mot émerveillé de Mélisse, osant enfin caresser ta main abimée par le temps et constatant dans son étonnement cru d’enfant combien tu pouvais être douce.
C’est un peu bête et c’est un lieu commun que je vais dire là, mais on ne s’aperçoit à quel point les choses nous sont chères qu’au moment où on les a irrémédiablement perdues.
Ce que je voulais te dire, n’ai pas su de ton vivant et que je sais être un sentiment partagé par l’ensemble de tes petits enfants, c’est que tu as réussi à être pour nous la grand-mère que tout le monde aurait pu rêver d’avoir.
Mémé, ainsi je te remercie pour tout ce que tu nous as apporté et par-dessus tout d’être resté jusqu’au bout et durant si longtemps la grand-mère aimante, généreuse et digne que nous avons aimé.
Adieu.
Yvette Bengochéa (17 avril 1916 – 16 juillet 2011)